Le poulpe commun de récif

Le poulpe de récif (Octopus cyanea) de la famille des Octopodidae fait partie d’un grand nombre d’espèces, pas moins de 71 sont reconnues dans le genre Octopus au niveau mondial, il se caractérise entre autre par ses deux rangées de ventouses sur chaque bras. Mais commençons par le début et cette question qui revient toujours, est-ce un poulpe ou une pieuvre ? Nous avons demandé à un grand spécialiste le Professeur émérite Nardo VICENTE, directeur scientifique de l’Institut Océanographique Paul RICARD qui nous dit “En Méditerranée, il est appelé « poulpe », du grec polupous, pieds multiples, mais il est ailleurs plus connu sous le nom de « pieuvre », du langage des îles anglo-normandes, popularisé par Victor Hugo et Jules Verne.” Le professeur ne cache pas sa préférence pour la pieuvre mais peu importe celui que vous préférez, il désigne toujours le même animal.

Dessin de l'anatomie d'un poulpe

Le poulpe de récif est un animal aussi complexe que fascinant, son corps est presque entièrement mou ce qui lui permet de se faufiler dans les trous qu’il affectionne pour dormir ou se cacher. Son poids peut varier de 3 à 8 kg, sa taille généralement de 1 mètre peut aller jusqu’à 1,20 m voir 1,30 m pour certaines femelles. Sa couleur est rouge brun avec des taches claires mais pas systématiquement. Son corps est athlétique, robuste ; sa tête a deux grosses protubérances globuleuses qui abritent les yeux qui sont situés latéralement, justement ses yeux ont la possibilité de se tourner dans toutes les directions ce qui lui confère l’avantage de pouvoir surveiller ce qu’il se passe autour de lui mais pas seulement, il peut également les aplatir pour disparaître sous son camouflage car la pieuvre fait du mimétisme que nous allons détailler un peu plus bas. Son manteau aussi appelé complexe palléo-viscéral qui suit la tête mesure environ 16 cm, il a la forme d’une poche oblongue.

Photo de ventouse de bras d'un poulpe commun de récif Octopus cyanea
Ventouse de bras d’une pieuvre commun de récif

Comme son nom l’indique, cet octopus a 8 bras puissants en forme d’étoiles avec deux rangées de ventouses, chacun en compte entre 450 à 500, la longueur des bras est de quatre à six fois la taille du manteau. Parmi ses bras, l’un d’eux, le bras hectocotyle sert à la reproduction. Les huit tentacules sont réunis par une membrane inter-brachiale au centre de laquelle s’ouvre le bulbe buccal qui se termine par une double mâchoire en forme de bec de perroquet. Une fente palléale s’ouvre dans la partie ventrale du manteau vers la cavité palléale qui abrite les branchies et les viscères . De la cavité palléale sort le siphon latéral qui chasse l’eau de la cavité par contraction du manteau .

Un système de propulsion fascinant

La pieuvre a un système de locomotion fascinant, l’eau pénètre dans la cavité palléale, les muscles circulaires du manteau se contractent ce qui ferme la fente et expulse l’eau par le siphon qui émerge en permanence de la cavité. Le courant ainsi créé propulse l’animal dans la direction opposée. Plus les contractions sont fortes, plus la pieuvre se déplace rapidement. Pour changer sa direction elle oriente à sa guise le siphon très mobile, pour freiner il lui suffit d’écarter ses bras. Les mouvements des muscles du manteau assurent le déplacement de l’animal mais aussi l’irrigation des branchies en eau oxygénée.

L’art du mimétisme

Grâce à son système nerveux, le poulpe de récif manie les variations de couleurs de son corps à une vitesse de l’ordre de la milliseconde, disons presque instantanément ce qui lui permet de s’adapter à la situation du moment et à son environnement. Mais comment fait-il pour changer de couleurs comme cela ? Et bien c’est grâce à ses chromatophores, ces cellules pigmentées du derme hautement spécialisées. Les cellules sont grandes et entourées d’une couronne de fibres musculaires en forme de rayons qui peuvent se contracter, la cellule pigmentée ainsi se dilate. Pour revenir à sa couleur naturelle le poulpe contracte le sac pigmentaire. Mais ce n’est pas tout, il faut aussi parler des iridophores et des leucophores, ce sont des cellules pigmentaires dont la taille ne varie pas. Les iridophores, au contact de la lumière génèrent des couleurs iridescente alors que les leucophores provoquent l’apparition de la couleur blanche éclatante. Pour résumer, les chromatophores recouvrent les leucophores qui eux-mêmes sont entourés par des iridophores, ces trois éléments produisent les champs chromatiques du poulpe et la variété des dessins de sa peau.

Photo d'un poulpe commun de récif octopus cyanea

La posture de l’animal a aussi son importance ainsi certains de ses dessins composés lui permette de disparaître aux yeux de ses prédateurs. Il va d’abord recouvrir sont corps de taches sombres et claires qui se hérissent de papilles et les bras dorsaux qui se lèvent et se tordent pour se camoufler et chercher à se rendre invisible aux yeux des murènes, congres, carangues, requins, dauphins, tortues et autres phoques qui en feraient bien leur repas. Mais si le camouflage a échoué alors la pieuvre va tenter de se faire plus grosse et plus impressionnante pour dissuader son agresseur en prenant une couleur très claire et en écartant ses bras de sorte qu’elle étend au maximum la membrane brachiale en forme de parachute devant sa tête, ce qui peut faire hésiter un court moment son attaquant. Mais quand toutes ses ruses ont échouées, il n’a plus le choix, il fuit très vite et projette vers son agresseur un ou plusieurs jets d’encre qui se diluent dans l’eau et provoquent un important nuage noirâtre faisant écran pour protéger sa course. Malgré tout cela, si dans sa fuite son prédateur arrive à l’atteindre et à lui couper un bras, il se régénèrera.

Le nombre de ses dessins est limité, certains sont dits permanents car ils peuvent durer plusieurs heures voir plusieurs jours pour se cacher et se rendre « invisible », à contrario, d’autres compositions sont furtives, elles ne durent que quelques secondes ou quelques minutes, l’animal s’en sert pour attirer, se montrer ou impressionner. Dans ce cas la pieuvre pâlit, le corps est lisse, les bras s’arrondissent et la membrane qui les relie est tendue au maximum, le bord des bras reste sombre.

Un grand prédateur

Et oui, beaucoup de céphalopodes sont nocturnes mais ce poulpe de récif est diurne, il chasse le jour du lever de soleil à son coucher en gardant son territoire, il ne se déplace que d’un rayon de 50 à 130 mètres durant une période n’excédant pas six heures. Les plus gros spécimens peuvent s’aventurer un peu plus loin pour poursuivre une proie plus petite que lui. Ce fin gourmet de crustacés et de poissons va explorer et débusquer des espèces enfouies dans des anfractuosités ; pour ce faire, le mollusque va se poser sur un petit massif de corail, un groupe de débris ou un bouquet d’algues et va fouiller tous les recoins avec le bout de ses bras et sortir tout petit crabe ou autre qui s’y serait caché. C’est sa méthode préférée de chasse mais pour forcer le crabe à se déplacer pour l’attraper plus facilement si besoin en est, il va utiliser son encre et produire un court instant des vagues de zones noires allant de la tête au bout des bras pour se masquer, juste le temps de lui sauter dessus dès qu’il va bouger.

Selon une étude (Vail & al. 2013), il arrive aussi que le poulpe ai des complices pour trouver sa nourriture. Il n’est pas rare dans ses déplacements qu’il soit accompagné d’un mérou ou d’un labre qui ne peuvent pas aller chercher la proie qu’ils ont repérée dans des anfractuosité. Alors dans un esprit de chasse coopérative, ils peuvent aider la pieuvre a débusquer la proie en lui indiquant l’endroit en se positionnant verticalement au-dessus de sa cachette et en faisant des mouvements saccadés de la tête, mais est-ce que les protagonistes partagent leur repas, nul ne le sait. Une fois sa proie capturée, la pieuvre l’a paralyse d’abord avec une morsure dont la salive est toxique, ce poison est accompagné d’enzymes destinés à liquéfier les tissus, puis il la ramène à son terrier pour être consommée mais il peut aussi la savourer sur place à l’abri des regards sous la membrane brachiale.

Photo d'un poulpe commun de récif Octopus cyanea
Poulpe commun de récif Octopus cyanea

Sa reproduction

Il faut savoir que la maturité sexuelle ne dépend pas de la taille et du poids mais de l’âge de l’animal. Chez le mâle elle est atteinte à 6 ou 7 mois, son poids pouvant varié de 200 grammes à 6 kilogrammes. Chez la femelle à la maturité sexuelle le poids varie de 600 grammes à 2,2 kilogrammes. Pour la reproduction, il n’y a pas de rivalités ni de combats de mâles pour la possession d’une femelle car les couples semblent se faire au hasard des rencontres. La taille des deux ou trois paires de ventouses les plus proches de la membrane brachiale augmente chez le mâle lors de la maturité sexuelle de même que la taille des ovaires chez les femelles. Il est probable que ces ventouses élargies servent de chémorécepteurs pour les signaux chimiques émis à distance par les femelles réceptives. Les œufs des femelles sont encore immatures jusqu’à la ponte mais elles peuvent recevoir et stocker des spermatozoïdes issus de nombreux mâles différents bien avant cet âge. La durée de vie connue des spermatozoïdes stockés est de 100 jours. Cette espèce se reproduit en toute saison de l’année avec un pic de ponte au début de la saison chaude et un pic secondaire moins important au milieu de la saison froide.

Pour séduire la femelle, le mâle à plusieurs solutions, il s’approche simplement d’elle et touche plusieurs fois son corps du bout d’un bras. C’est vraisemblablement grâce à ce procédé chimique des ventouses qui comportent des chémorécepteurs que les premiers contacts semblent destinés à confirmer le sexe du partenaire. L’accouplement commence par une lente approche du mâle qui a une apparence en livrée bordeaux foncé à marques claires, la femelle est généralement en livrée de camouflage. Chez le mâle, le bras droit de la troisième paire est tenu en position haute et il est enroulé sur lui-même. Il s’agit du bras hectocotyle, autrement dit du bras modifié de façon à pouvoir transférer les spermatophores. Restant à distance de la femelle et si elle est réceptive, le mâle déroule lentement son bras hectocotyle pour en introduire l’extrémité dans la cavité palléale de la femelle, puis dans son oviducte pour y déposer les spermatophores qui libéreront les spermatozoïdes. Le temps de l’accouplement est variable, il peut durer une minute mais peut aller jusqu’à 3 heures et il se passe dans le calme.

Quand le mâle est plus puissant que la femelle et qu’il ne risque pas d’être tué par elle, l’accouplement peut aussi se faire avec des partenaires en contact, le mâle est au-dessus de la femelle et l’enveloppe de ses bras et de sa membrane brachiale. Il est possible que le mâle préfère l’accouplement à distance en raison d’une possible dangerosité de la femelle. Un mois après l’accouplement la femelle choisi une voute ou une anfractuosité, la ponte de 150.000 à 700.000 œufs se fait en plusieurs grappes reliées par un cordon, ils sont oblongs et mesurent environ 3 mm de diamètre. Chaque grappe comprend 600 à 1200 œufs et est fixée par une sécrétion adhésive. La mère ventile ses œufs au moyen de son siphon respiratoire et les nettoie avec le bout de ses bras durant toute la période d’incubation qui dure de 20 à 36 jours selon la température de l’eau.

Le juvénile sort de son œuf par l’arrière en utilisant la propulsion créée par des contractions du manteau et nage immédiatement en pleine eau pour rejoindre le large. Le petit a tout de suite l’aspect d’un petit poulpe, il n’y a pas de stade larvaire. Il mesure 3 mm de long, son corps est couvert de soies minuscules, il porte des petits points brun foncé et ses bras n’ont que 3 à 4 ventouses par rangée. Ses bras sont plus court que son manteau et son siphon et sa taille semblent énormes en position ventrale. Il mène une vie planctonique pendant 1 à 2 mois. Il peut déjà changer d’apparence en pâlissant ou en s’assombrissant et en projetant de l’encre pour se protéger. A la fin de cette période, le juvénile se laisse tomber sur le substrat, il commence alors une existence benthique et mène une vie solitaire en se cachant de la lumière. En grandissant ses bras s’allongent plus vite que son manteau et le nombre de ventouses augmente. La vitesse de sa croissance va dépendre essentiellement de l’abondance de sa nourriture.

Photo d'un poulpe juvénile de méditerranée Octopus vulgaris
Juvénile d’un poulpe de Méditerranée Octopus vulgaris

Pourquoi le poulpe ne vit pas longtemps

La pieuvre est sémelpare. La femelle cesse de se nourrir deux semaines avant la ponte et ne mange plus jusqu’à sa mort une dizaine de jours après l’éclosion des ses petits, quant au mâle il entre en sénescence après sa maturité sexuelle et son activité reproductive. Il semble que ce phénomène soit lié à la glande optique qui contrôle la reproduction, son hyperactivité après la copulation déclencherait la sénescence. Cette dégénérescence se traduit par une perte progressive de l’appétit, une hyperactivité désordonnée, des lésions blanches sur le corps et une perte du contrôle des mouvements du corps qui affecte notamment ses bras. L’espérance de vie de la pieuvre est donc courte, elle dure une année en moyenne et peut-être 15 mois au maximum.

L’intelligence du poulpe

Le comportement et les capacités cognitives des céphalopodes ont été étudiés durant tout le XXème siècle. Ils sont capables d’exploration, de réactivité, d’accoutumance, de jeu exploratoire, de mémoire, de réactions émotionnelles, d’adaptation à des circonstances nouvelles, de prise de décision, d’apprentissage par association et d’observation. Ces compétences leur permettent de développer des comportements pour résoudre des problèmes pouvant aller jusqu’à l’usage d’outils. Chez le poulpe, les scientifiques parlent d’une forme de conscience primaire, la capacité de se situer dans un espace mémorisé et de connaître la position des parties de leur corps qu’ils ne voient pas. Ils disent que le poulpe possède les « substrats neurologiques » requis pour les états de conscience. Son excellente mémoire à court et long terme permet de surcroît à Octopus cyanea de s’accoutumer à une présence non hostile.

Photo d'un oeil de poulpe commun de récif Octopus cyanea
Œil d’un poulpe commun de récif Octopus cyanea

À savoir

On l’aura tous compris, la pieuvre est un animal complexe autant qu’intelligent et fascinant. Si vous le rencontrez dans une anfractuosité, sachez-le, la femelle couve peut-être ses petits alors observez-la mais ne la touchez pas. Elle pourrait sortir de son nid pour défendre sa couvée et dans ce cas, elle n’y reviendra pas, les petits seront alors condamnés.

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