Le Grindadráp

Il y a deux mots qui font bondir les ONG et les citoyens amoureux de la nature et plus exactement de la préservation de la biodiversité marine, Le grindadráp. On le nomme aussi plus communément le grind, la chasse traditionnelle des petits cétacés aux Îles Féroé. Une question taraude bon nombres de personnes, en ce nouveau siècle, comment de telles pratiques peuvent encore exister ? Alors ÉLEAU a voulu percer le mystère grindadráp et comprendre exactement ce qu’est cette tradition ancestrale. Revenons d’abord sur ses origines.

À l’origine

On trouve les premiers écrits de cette chasse en 1584 mais il est fort probable que cette pratique soit apparue avec l’arrivée des premières colonies scandinaves vers la fin du VIIIe siècle après JC. Les pirates, les commerçants et les colons nordiques, qui ont donné son nom à l’ère Viking, ont commencé à s’étendre et à coloniser les îles de l’Atlantique Nord-Est, îles Féroé, Shetland, Orcades, Hébrides, Man, Irlande. Les premiers habitants sont confrontés à des périodes terribles dues aux conditions climatiques très difficiles qui limitent l’agriculture et l’élevage. L’hiver les Féroïens ont faim sur ces îles désertes. Pourtant chaque année autour de l’été, ils voient passer au large un nombre important de dauphins noirs mais aussi de grands dauphins, c’est un chemin migratoire pour les cétacés. Les autochtones d’alors se décident à organiser des chasses pour palier le manque de nourriture dans les moments les plus froids. Ils s’organisent et se mettent à observer l’horizon. Les îles étant proches les unes des autres, dès qu’un groupe d’animaux est en vue, on allume des feux pour prévenir les habitants des autres îles où alors on crie ou encore on court mais peu importe dans le fond, l’essentiel étant d’être prévenus. Dès lors, une course poursuite se met en place, les hommes affûtent leurs lances sortent les barques et se lancent à la poursuite de ce garde-manger inespéré. Pour rabattre les animaux vers les petits fonds, les chasseurs mettent leurs chaloupes en demi-lune et rament vers la côte de façon à empêcher les animaux de sortir du piège qui est en train de se refermer sur eux.

Dessin d'un grindadráp aux Îles Féroé en 1854
Dessins d’un grindadráp en 1854

Puis c’est la curée, les chasseurs visent les mammifères et lancent leurs armes dans la peau épaisse des animaux. Certains meurent vite et d’autres gémissent de douleur avant de s’immobiliser définitivement. Les dauphins noirs morts, ils reste à les ramener vers la berge, les dépecer, prendre la viande fraiche, la distribuer et la conserver pour l’hiver. La chasse terminée, les Féroïens festoient et dansent. Dès lors cette chasse va permettre aux Féroïens d’assurer leur sécurité alimentaire mais pas seulement car le grindadráp joue un rôle social qui permet à toute la communauté de se retrouver et d’échanger.

De la subsistance à l’abondance

Au fil des siècles et de l’évolution, cette chasse a été et reste très hiérarchisée, c’est un lien social incontestable sur ces îles encore aujourd’hui, même si les techniques de chasse ont considérablement évoluées. Fini la lance et la barque, aujourd’hui ce sont les bateaux à moteurs très puissants, les hélicoptères et même les drones qui repèrent les bancs de globicéphales, sans oublier les VHF et les téléphones mobiles. Les lances ont été remplacées par des crochets, il est devenu très difficiles pour les animaux d’échapper à leur massacre car il faut bien le dire cette chasse traditionnelle n’a plus de sens aujourd’hui, d’ailleurs une petite partie de la population Féroïens ne veut plus de cette tradition ancestrale qui empêche le développement d’un tourisme d’observation des cétacés. Avec toutes ces technologies, peut-on encore parler de chasse aujourd’hui ? Il est légitime de se poser la question.

Photo verticale d'un globicéphale nageant sur le côté

Pourtant cette chasse a failli disparaître dans la deuxième partie du 18 ème siècle, les globicéphales se sont fait très rares durant plusieurs décennies, très peu, voir aucun mammifère n’est tué durant cette période alors les Féroïens se détournent de cette pratique institutionnalisée. Les outils utilisés servent à d’autres fonctions et la jeune génération grandit sans connaître cette pratique. Tout aurait pu s’arrêter là mais au début du XIXè siècle les globicéphales reviennent et empruntent à nouveau le couloir de migration. Le retour de cette manne ainsi que les changements économiques de ce début de siècle permettent à cette chasse de reprendre et d’adopter sa structure actuelle. Les Féroïens dont l’économie était basée essentiellement sur l’exportation de la laine et sur une économie de subsistance vont évoluer vers une exploitation de la mer et de ses ressources. Pour la première fois, le grindadráp comme la pêche sont perçus comme des ressources potentielles et s’organisent en productions.

L’intervention des ONG

Cette pratique locale était peu connue avant qu’elle soit mise au grand jour par les ONG, comme Greenpeace qui au début des années 80 s’est rendue aux Îles Féroé pour travailler et recueillir des informations sur la chasse au rorqual commun, elle a assisté à 3 grindadráp et s’en est allée révoltée et scandalisée par de telles pratiques. L’association a médiatisé le grindadráp, des pétitions internationales et des milliers de lettres adressées au gouvernement des Îles Féroé n’ont rien changé. Pourquoi ? Et bien les Féroïens considèrent que c’est une chasse traditionnelle qui relève toujours d’une pratique de subsistance, qu’elle fait partie de leur patrimoine, rappelons d’ailleurs qu’une toute petite minorité s’y oppose. Alors le grindadráp est porté jusqu’à la commission internationale baleinière qui refuse de placer cette chasse sous sa régulation pour le simple motif que cette pratique relève uniquement des petits cétacés.

Photo d'un globicéphale entier

La méthode d’abattage est revue pour qu’elle soit “plus humaine” mais pas remise en question car le caractère “traditionnel” de cette chasse est reconnu. Greenpeace se retire de ce combat en 1985 pour affirmer son opposition à ces décisions. Quelques années plus tard, l’ONG Sea Shepherd décide d’intervenir en employant des moyens inhabituels, blocage des bateaux de chasse, détournement des animaux de leur couloir de migration. Ces méthodes intrusives auront un effet désastreux, alors que cette chasse tendait à s’infléchir, le peuple Féroïen aura de nouveau un regain d’intérêt pour cette pratique qu’ils considèrent comme faisant partie de leur culture et de leur patrimoine, d’ailleurs les plus fervents défenseurs veulent que le grindadráp soit reconnu au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les Féroïens soudés vont dénoncer l’ingérence des ONG et des pays continentaux. En résumé, plus il y a d’interventions extérieures, plus il y a de cohésion nationale du peuple Féroïen.

A l’heure ou les mers et les océans se vident en raison d’une surpêche déraisonnée, comment faire pour arrêter cette pratique de “subsistance” alors que ce peuple n’a aujourd’hui plus de soucis alimentaires ? Comment faire pour sauver ces mammifères qui rappelons-le ont une vie sociale plus intense que la nôtre (voir notre précédent article La prison des dauphins).

Photo de 3 globicéphales arrivant de face
Groupe de globicéphales

Les solutions

Et bien ÉLEAU voit au moins deux solutions. La première est d’ordre médical et la deuxième d’ordre juridique.

Cette tradition encore très hiérarchisée aujourd’hui permet la distribution de la viande dépecée à tous les Féroïens. Les dauphins sont au sommet de la chaîne alimentaire et on le sait tous aujourd’hui, les mers et les océans subissent une forte dégradation qui pour une grande partie est due à l’intervention humaine (pollution, surpêche, sur-exploitation des habitats côtiers…). Les dauphins sont des grands voyageurs et il parcourent des milliers de kilomètres chaque année, ils sont donc très exposés aux polluants et stockent des métaux lourds dans leur organisme. La graisse, les muscle et les organes des cétacés présentent pour beaucoup des taux élevés de mercure, de sélénium, de cadmium et de PCB et le système nerveux chez les animaux comme les humains est le premier touché.

La consommation de la viande polluée à des conséquences très importantes sur la santé des Féroïens. Des effets sur le développement neurologique chez les enfants ont été observés avec des déficits de concentration, de mémoire et de troubles du langage chez des enfants de 7 ans. Une partie de la population adulte peut avoir des altérations des fonctions visuelles, du système somato-sensoriel et moteur. Dès la fin des années 80, les médecins ont alerté la population et recommandé de limiter la consommation de viande de globicéphales. Ils ont réitéré cette recommandation en 1999, 2008 et 2011 et ont constaté après prélèvement une baisse du taux de mercure dans le sang, par contre les taux de PCB stagnent dans l’organisme. En résumé, la consommation de chair de globicéphales est dangereuse pour la santé des Féroïens, ils ne doivent plus la consommer. Alors que faire de cette viande qui ne peut être mangée dans sa totalité car dans la tradition la chair de tous les animaux tués doit être consommée ? En 2010, le documentariste, ethnologue et réalisateur François Xavier PELLETIER est missionné par Sea Shepherd et la fondation Bardot pour se rendre aux Îles Féroé, il découvre des charniers sous-marins de globicéphales, preuve que cette viande n’est plus consommé par les Féroïens.

Extrait de l’interview de France 3

La deuxième solution est d’ordre juridique et économique. En effet, cette chasse est largement subventionnée par l’Europe et plus exactement par l’intermédiaire du Danemark. Cette chasse aux dauphins est une activité séculaire et ces îles danoises ont un statut autonome, l’archipel indépendant est sous protection Danoise et ne reconnaît pas l’Union Européenne, elle refuse donc d’appliquer sa législation. En revanche, les Îles Féroé acceptent bien les subventions du Danemark que l’Union Européenne lui versent. Alors la solution n’est-elle pas économique ? En contraignant le Danemark à ne plus subventionner cette chasse avec l’argent de l’Europe, cette pratique perdurerait-elle ? Il est fort probable que non.

Les mers, les océans, la terre et toute la biodiversité dans son ensemble est un espace vivant unique, liés les uns aux autres et qu’il faut protéger et préserver.

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